MENWAR
auteur, compositeur, interprète

L’hymne créole

L'Express, 12 janvier 2007

Menwar

Tranquille comme un grondement sous le boisseau, Menwar a porté sa musique vers l’ailleurs.

Reconnu internationalement pour la richesse de sa création, il reste néanmoins attaché à ce cordon ombilical qui l’étrangle un peu quelquefois.

Ceux qui ferraillent avec la création savent que la vie avance par à-coups des fois douloureux, avec déraison, dans une surchauffe des cœurs où la posture de l’eau tiède paraît criminelle.

Il y a tout ça dans les yeux de Menwar le créole, l’Afro-Mauricien qui ressent le terme “population générale” comme une ineptie.

Vous avez été choisi comme l’artiste de l’année par Radio France Internationale, comment avez-vous reçu cette distinction?

Je dois vous dire que je n’étais pas au courant. Je n’ai rien envoyé à aucun concours. Peut-être est-ce mon producteur qui l’a fait ? Quand je suis arrivé à Maurice le 29 décembre, de retour d’un voyage, je l’ai entendue à la radio. Je prends cette distinction comme un honneur pour un artiste mauricien. J’ai toujours voulu que notre musique traverse les océans. Je suis aussi très heureux car cette distinction est une reconnaissance de ma musique, de ma recherche et de mes objectifs. J’ai toujours fait de la musique pour qu’elle se propage partout.


Etre considéré en tant qu’artiste, cela doit venir de l’étranger?

Je ne sais pas. Je respecte l’opinion des gens. Certains viennent me dire: tu as entendu ces disques de l’année? Ils trouvent que c’est dommage que ce ne soit pas moi qui remporte le disque de l’année. Que voulez-vous que je dise? Si les Mauriciens estiment que ce n’est pas pour moi et pour ma musique qu’il faut voter, ils doivent avoir leurs raisons. Et je respecte cela. C’est comme quand on dit ici “Meilleur album”, on veut dire quoi? L’album le plus vendu, celui qui a la plus belle pochette ou celui qui est d’une meilleure qualité au niveau de la création?


Ceux qui connaissent votre création le sentent : nous sommes dans un monde à part. La création de ce monde a-t-elle subi des influences notables d’autres artistes?

Depuis que je suis petit, j’écoute de la musique, plus particulièrement le séga: Roger Augustin, France Jemon, Georges Le Mûlatre, puis Ti Frère, Serge Lebrasse, Roger Clency. Puis il y a eu l’autre génération, Ti L’afrique, Coulouce, John Kenneth Nelson, avec une approche plus moderne plus bluesy, influencée par James Brown. Toutes ces musiques m’ont influencé bien sûr. Tout ce que vous écoutez rentre dans votre tête et reste à l’intérieur. Un jour ou l’autre ça ressort.


On entend souvent opposer le séga populaire à l’autre plus “intellectuel” quel sens donner à cette classification?

Cela n’a pas de sens. Un séga est populaire si la population l’accepte et qu’elle lui fait connaître le succès. Voilà ce que veut dire populaire. Cela n’a rien à voir avec le contenu. Ici, nous parlons de séga l’ambiance, de séga engagé. Cela ne veut rien dire: Du moment qu’un disque est vendu, c’est commercial, puisqu’on en fait du commerce. Alors, toutes ces descriptions n’ont aucun sens.


Vous trouvez que la route empruntée par le séga est une voie sans issue?

Le séga en lui-même n’est qu’un nom. C’est à nous de savoir ce que nous voulons en faire. Il y a eu une période où l’on a dit, par exemple, que la ravanne avait perdu de sa valeur. Aujourd’hui on se rend compte que ce n’est pas vrai. Elle est toujours là. Mais effectivement si on fait un séga pour rendre hommage à la ravanne et qu’on est soi-même accompagné d’une batterie, alors vraiment ça ira mal… Nous serons en contradiction totale. La ravanne déchire le cœur quand elle est bien jouée. J’ai simplement démontré que la ravanne est une percussion comme toutes les percussions. Ni plus, ni moins. On peut y faire du séga, du jazz. Je l’ai démontré en jouant avec Ernest Wiehe.


Vous avez écrit une méthode pour jouer de la ravanne, c’était pour institutionnaliser cet instrument?

Sans doute un peu. Je suis très heureux de voir des gens apprendre la ravanne. L’autre jour, j’ai eu un Mauricien, un jeune, habitant en Belgique qui est venu me voir pendant ses vacances pour me dire qu’il avait formé un petit groupe qui jouait de la ravanne en Belgique. Cela m’a vraiment touché de voir ces jeunes qui étaient tous des enfants de couples mixtes belges-mauriciens faire vivre cette culture. La nôtre. La ravanne est dans notre imaginaire, un symbole aussi fort que le Dodo.

“L’Eglise catholique a endormi la
conscience des créoles. Elle ne leur a
pas expliqué leur rôle social et comment
ils devaient lutter pour avancer. Comme
cela s’est fait dans des baïtkas, par
exemple. Gandhi a envoyé Manilall
Doctor pour aider les hindous, mais nous
n’avons pas eu ça.”

Vous avez peur qu’elle connaisse le même sort ?

Non, cela n’arrivera pas parce que nous nous en sommes occupés quand il en était encore temps. Mais la ravanne avait, en elle, une telle force que personne n’a pu la vaincre.


L’art est-il comme le pensent certains, essentiellement outil de revendication?

Oui, dans un certain sens. Quand je chante, si les gens sont stressés, ils se calment. C’est une forme de lutte pour emmener les gens vers le calme. C’est une manière d’être engagé. Il y a longtemps existait une forme de séga qu’on appelait séga foutant. C’était de la revendication. Si vous étiez en guerre avec votre voisin, vous écriviez un séga pour lui dire tout le mal que vous pensiez de lui. C’est cela aussi le séga. Quand je dis aujourd’hui dans une chanson qu’il y a des bases militaires dans l’océan Indien et que les Américains doivent démonter toutes leurs couillonnades et aller les installer chez eux, c’est aussi et encore de la revendication.


Votre musique, votre séga est-elle irrémédiablement liée à la condition créole?

On a mis une image sur moi. Je l’accepte. Mais il faut aussi dire qu’il y a une communauté qui est là et qui vit dans la noirceur. C’est quand on est malade qu’on a besoin d’un docteur. C’est avec ces gens que je dois parler. Non pas pour leur dire que les autres leur marchent dessus. Mais pour leur dire qu’il faut qu’ils se prennent en charge. Qu’ils fassent l’effort d’aller plus loin. Je ne suis contre personne, contre les autres, je suis simplement pour eux. Et cela aurait été la même chose si j’étais né dans une autre communauté qui se trouvait en difficulté. C’est comme ça. Mais je n’oublie jamais que je suis le fruit d’un métissage, d’un mélange.

Ma grand-mère était une femme de Pondichéry, j’ai un aïeul qui était Malgache. J’avais un nom à consonance indienne. Il a été changé en route à cause d’un mariage inter-racial. Je suis un Créole et je le dis. S’il y avait des droits égaux pour tous à Maurice, il n’y aurait même pas besoin d’avoir des communautés différentes. On se serait tous appelés Mauriciens. La communauté majoritaire s’appellerait Mauriciens. C’est comme ça que les choses doivent être.


Que voulez-vous dire à la communauté créole?

Je veux dire aux créoles: Respectez les autres et on vous respectera. Il faut que la communauté créole se respecte elle-même si elle veut avancer. Il nous faut du courage, dela patience, de la persévérance. Ce n’est pas d’un coup de baguette qu’un combat avance. Nous n’aurons rien sur un plateau. Il faut travailler dur. Quand on regarde le secteur public, on le voit bien il y a à peine de créoles. C’est une réalité. Si les créoles avaient la majorité des jobs à Maurice, les autres communautés ne se seraient-elles pas senties blessées ? C’est sûr et c’est normal. Alors les autres doivent comprendre les créoles. Il faut que les autres communautés essaient de se mettre à la place des créoles et ressentent leur douleur… Il faut qu’elles essaient de comprendre.


On se demande, en vous écoutant, pourquoi vous ne vous êtes jamais engagé dans le combat politique…

Un jour j’ai écrit une chanson qui disait:

“Mo péna lambition pou vinne ene politicien, ni ene premier ministre ni député,, mais maniere la vie pé allé c’est nou, lé pep ki bizin guette bien ki simin nou pou passé, comié temps nou pou asizé guétté, lé temps sa cabri pé manze salade.”

Je ne veux pas faire de la politique. Et je dis à haute voix: je ne jouerais pour aucun parti dans une campagne électorale. Même s’il me proposait une valise de billets. Je peux accepter de jouer uniquement pour une institution, un gouvernement qui représente tout le monde. J’ai honte quand je regarde ce parlement mauricien quand ils se bagarrent. Alors qu’ils ont pris l’engagement de travailler pour le peuple. L’opposition trouve que tout n’est pas bon juste parce que cela vient du gouvernement. Le gouvernement dit la même chose quand cela vient de l’opposition. Et qui paie tout ça ? C’est nous. La population. Moi, je ne vote plus. Je n’ai voté qu’une seule fois dans ma vie. Et je vois ceux qui votent se plaindre encore plus que moi! Zotte pli dans difé ki moi. Alors vaut mieux mo reste dehors.


Ne pas voter, cela veut aussi dire ne pas avoir le droit de protester quand les choses vont mal, puisque vous refusez de prendre vos responsabilités…

Je n’en veux pas. Chaque politicien dit toujours que l’autre a vidé la caisse. Et il vous demande 5 ans pour tout mettre en ordre. Quand on regarde bien, cela fait 25 ans, depuis Anerood Jugnauth, qu’on nous demande de nous serrer la ceinture. Et ça dure toujours jusqu’aujourd’hui! Pendant ce temps, vous les voyez s’insulter comme des malpropres, puis repartir bras dessus, bras dessous, ils vont boire ensemble. Pouf! Dégoûtant! Bé nous ki nou été nous? Banne Gopias? Nous n’avons pas de cerveau, nous ne voyons pas leur conneries? Vous savez, il y a quelque chose qui me révolte. Les gens croient que seuls ceux qui ont été à l’école qui peuvent se dire intellectuels.


C’est quoi pour vous un intellectuel?

C’est quelqu’un qui fait fonctionner son intelligence. Et non pas forcément quelqu’un qui sait lire et écrire. Je n’ai jamais été à l’école. Et si je suis arrivé là où je suis arrivé, c’est parce que j’ai fait fonctionner mon intelligence. Il ne faut pas confondre l’intellectuel avec des gens qui ont étudié. De même qu’il ne faut pas confondre instruction et éducation. Ici, on confond tout. Regardez les journalistes, je ne veux condamner personne, dans la musique on flatte, on flatte pour faire plaisir, sans grande connaissance. C’est mauvais. Quelquefois on lit des articles quelquefois on voit bien qu’il n’ont pas de grandes connaissances. L’affaire Kaya est une illustration de ce que je vous dit. La presse a-t-elle vraiment réfléchi aux conséquences de ce qu’elle faisait ? Aujourd’hui ils ne font même pas la différence entre le gandia et le reste des drogues. L’alcool aussi est un poison, mais il faut boire modérément. Il ne faut pas tout mettre dans le même panier.


L’affaire Kaya reste-t-il pour vous un mystère?

Il y a des gens qui sont venus me voir chez moi avant que Rama prenne l’affaire en mains. Ils sont venus me voir, Je faisais ma sieste. Je les ai reçus. Ils voulaient faire une grande manif pour la dépénalisation au Champ de Mars. J’ai dit oui. Mais je leur ai dit: jamais on ne pourra emmener un tel projet au parlement. Les gens n’ont même pas de logement depuis Hollanda et on pense que c’est une priorité? On sera vieux avec une grande barbe et ça ne sera toujours pas fait! On m’a traité de prophète de malheur et tous sont partis. Et quand j’ai entendu que Rama faisait ce truc à Rose Hill, je ne suis pas allé. Je n’y ai pas mis les pieds. Regardez la réalité. Pourquoi cité Mère Thérésa a brûlé? Et encore on a été assez humain pour demander aux gens de sortir avant de brûler les maisons. Aujourd’hui encore on ne sait toujours pas. En prison, il y a toutes les communautés. C’était un combat pour tout le monde.


Sept ans après, avons-nous progressé ?

Moi, je vous parle de la communauté créole. Depuis, nous sommes un peu passés aux yeux des autres pour des arrogants, des délinquants qui ont tout cassé. Et on sait bien pourtant qu’il n’y avait pas que la communauté créole qui cassait pendant les émeutes… Mais je vais vous dire une chose: déjà pour voir la communauté créole dans son ensemble, ce n’est pas facile. Tellement elle est éparpillée… Il y a toutes sortes de variantes. Il faut arrêter de dire population générale. Il faut soit dire Créole ou Afro-Mauricien. Il y a bien des Indo, Sino ou Franco-Mauriciens. Alors on peut avoir des Afro-Mauriciens. Population générale ça ne veut rien dire.

L’Eglise catholique est responsable des problèmes de la communauté créole. Harish Boodhoo avait raison de le dire. C’est une réalité. L’Eglise catholique a endormi la conscience des créoles. Elle ne leur a jamais expliqué leur rôle social et comment ils devaient lutter pour avancer. Comme cela s’est fait dans des baïtkas, par exemple. Gandhi a envoyé Manilall Doctor pour aider les hindous, mais nous n’avons pas eu ça. Il s’est fait appeler Lé roi créole mais il nous a vendus. Même si certains ne veulent plus le dire. Il nous a donné un œuf et il a pris un bœuf. Il ne nous a pas donné nos vrais droits. Il nous a fait peur pour l’indépendance.

Il nous a montré des photos d’enfants biafrais et nous a dit que nous allions devenir pareils. Et puis c’est lui qui a été signé l’accord après l’indépendance. C’est l’Eglise qui aurait dû avoir joué pour les créoles le rôle qu’a joué Manilall Doctor pour les hindous. Mais cela n’a pas été le cas. Regardez après combien de temps l’Eglise célèbre l’abolition de l’esclavage et vous aurez tout compris. Il faudrait un jour que l’Eglise dise exactement à qui sont réservées les 50% de places dans ses écoles… Ce serait intéressant. Il y a des parents habitant les cités qui sont devenus de véritables rats d’église et dont les enfants n’arrivent quand même pas à avoir une place dans ces écoles. Il faut le dire tout ça. Et si vous voulez les réponses, il faut les demander à Mgr Piat. Moi, je ne connais pas la réponse.

“Il faut que la communauté créole se
respecte elle-même si elle veut avancer.
Il nous faut du courage, de la
patience, de la persévérance. Ce
n’est pas d’un coup de baguette qu’un
combat avance. Nous n’aurons rien
sur un plateau. Il faut travailler dur.”

Le magazine “Inrockcuptibles”, une référence en matière de chanson internationale, dit de vous: “c’est un homme plus en quête de spiritualité que d’insurrection”. Cet échange me donne l’impression du contraire…

Si vous m’expliquez ce que veut dire le mot insurrection peut-être que je pourrais vous répondre.

Disons un sentiment de révolte…

S’il y en a qui pensent que je veux faire une révolution… Une révolution, ça ne se fait pas comme ça. Les révolutions causent des dégâts ou ce sont toujours les mêmes qui paient: les pauvres. Quand j’ai une discussion dans ma maison, je n’écrase pas tout. Parce que je me suis beaucoup fatigué, j’ai beaucoup trimé pour avoir tout ça. Et j’irai encore moins inciter les gens à écraser leurs maisons. Un jour j’étais en voiture avec des musiciens et des producteurs étrangers. A Grand-Baie, nous avons eu un accident, nous avons heurté une colonne. Nous avons transporté les gens à l’hôpital.

Et puis moi, je suis resté là parce que, dans la voiture, il y en avait pour des milliers de roupies de matériel. J’ai fait tout transférer dans une voiture pour ne pas les laisser là. Je me suis fait insulter, les gens ont failli me battre parce que je ne voulais pas laisser le matériel là. J’aimerais bien savoir s’ils auraient eux laissé leur matériel si c’était le leur?

Votre maison de disques dit de vous : “Il est à la fois prophète et rebelle…”

Je ne suis ni l’un ni l’autre. Prophète, c’est beaucoup. On nous a appris depuis petit qu’un jour les trompettes vont souffler et Jésus va revenir pour nous emmener au paradis. Moi, ça ne m’intéresse pas le paradis. Je me fous de plus tard. C’est ici que je veux voir les hommes être heureux. Pas dans un truc dont on ne sait même pas ce que c’est, si ça existe et à quoi ça ressemble. C’est en tant qu’humain, en tant que vivant que l’on doit être heureux. Est-ce que Dieu a dit de laisser ses enfants dormir sur la route et de dépenser plutôt des millions à faire des édifices religieux. Le Bon Dieu n’a pas besoin de ça, ce sont les pauvres qui en ont besoin.

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