SYSTÈME EDUCATIF CRÉOLOPHONE

Repères pour les Seychelles

Fabrication traditionnelle d'huile de coco
Fabrication traditionnelle d'huile de coco. Photo Maxette et Malte Olsson.

L'Organisation internationale de la francophonie (OIF), dans le cadre de son projet Améliorer la prise en compte de la diversité linguistique dans les systèmes éducatifs, a organisé aux Seychelles, du 11 au 15 décembre 2006, un séminaire de réflexion et de programmation sur la diffusion du français langue seconde. Les travaux étaient placés sous la présidence du Pr Robert Chaudenson, linguiste de la créolistique de réputation internationale. Il fut beaucoup question du kreol et du français comme des langues convergentes.

L'Université de Maurice accueille, par ailleurs, des linguistes et des praticiens d'ici et d'ailleurs pour un atelier de travail du 29 au 30 janvier 2007 avec les universités membres du Réseau AUF (Association des Universités de la Francophonie). Cet atelier inclut précisément une animation régionale sur le type de problématique sus-mentionnée. Dans ce contexte, il serait intéressant de se pencher sur le système éducatif seychellois. Il semblerait que tout ce qui a été dit jusqu'ici sur " l'échec du kreol aux Seychelles " est loin d'être exact.

Le contenu du présent article provient des travaux du séminaire tenu aux Seychelles fin 2006 et de trois publications récentes : Vers une didactique du français en milieu créolophone (Etudes créoles, vol. XXVIII no. 1 et 2-2006) ; Education et langues. Français, créoles, langues africaines (Robert Chaudenson, 2006) ; La littérature seychelloise. Production, promotion, réception. (Pascale Canova, 2006).

L'aménagement des langues

Le système mis en place aux Seychelles au tout début des années 80 comporte un usage intensif du kreol dans les trois premières années avec, en particulier, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en kreol. On commence l'apprentissage de l'anglais, puis celui du français (qui demeure langue étrangère) plus tard, en quatrième année de primaire (P4). L'anglais devient médium éducatif unique, à partir de la quatrième année (sauf pour la religion ou la morale). Par la suite, il y a eu des réformes successives.

Les temps forts

1976: les Seychelles accèdent à l'indépendance et se dotent d'une Constitution.

Samedi 4 au dimanche 5 juin 1977: la Constitution de 1976 ne survivra pas aux divergences entre les deux partis qui, un temps réunis pour mener le pays vers l'indépendance, marquent de nouveau leurs différences. Un coup d'Etat ourdi par quelques membres du SPUP (parti de France Albert René, qui deviendra ensuite le SPPF) se produit dans la nuit du samedi 4 au dimanche 5 juin 1977.

26 mars 1979: une nouvelle Constitution entre en vigueur. Pour la première fois, le trilinguisme anglais, français, kreol est officialisé.

11 juillet 1981: pour que les enfants puissent être alphabétisés dans leur langue maternelle, le kreol est doté d'une graphie préalablement établie par Annegret Bollée (de nationalité allemande) et Danielle d'Offay de Saint-Jorre. Le kreol est introduit comme langue d'enseignement dès la première année de primaire. Le jeune Seychellois s'initiera au français oral avant d'apprendre à le lire et à l'écrire; puis il passera à l'étude du français oral pour en faire ensuite l'apprentissage écrit. C'est seulement après que ces langues ont été maîtrisées par les scolaires qu'elles deviennent à leur tour médiums d'enseignement (sciences humaines en français et sciences exactes en anglais).

Mais, par la suite, le statut des langues officielles a été modifié: le kreol devient la première langue nationale et le français est relégué à la troisième place. Il cesse d'être une langue d'enseignement. C'est l'anglais qui devient le médium pour les maths et d'autres matières.

1994: L'émergence du multipartisme en 1992 et la conscience des insuffisances du système ont conduit à une importante réforme en 1994. Dans la foulée de la publication du Rapport du Language Policy Review Committee, on y préconise l'apprentissage plus précoce de l'anglais oral et un usage plus rapide de cette langue comme médium.

1996: Un projet d'enseignement précoce du français langue étrangère est financé par la France. Depuis, afin de hausser le niveau du français, les autorités éducatives abandonnent l'examen de Cambridge pour le français et optent pour les étudiants Seychellois pour des examens du DELF et du DALF. Ce qui n'est pas sans problème, car ces examens sont fortement marqués culturellement. Depuis, les Seychelles recherchent l'expertise francophone pour contextualiser l'enseignement du français dès le préprimaire.

Quelques observations

  • La post-alphabétisation: le problème de la simple alphabétisation en langues nationales (en Afrique subsaharienne par exemple) est des plus simples à résoudre; la difficulté majeure se situe au-delà et tient à la post-alphabétisation (souvent, il n'y a rien d'important ni même d'utile à lire dans ces langues).
     
    De la même façon, si l'on choisit d'alphabétiser en kreol, avant même de l'entreprendre, on doit, de façon immédiate et prioritaire, se préoccuper de savoir ce que pourront lire, très vite, en kreol, les apprenants de cette langue. L'histoire de l'école seychelloise le démontre, s'il en est besoin, comme nombre d'expériences d'alphabétisation en langues nationales en Afrique, par exemple (Chaudenson, 2005).
     
  • Les stratégies éducatives: si l'on veut user du kreol à l'école, par exemple, veut-on le faire dans une perspective "bilingue" et/ou de pédagogie dite "convergente", où les enfants vont passer rapidement du kreol à la langue européenne. (Chaudenson, 2005).
     
  • Les visions de la langue: aujourd'hui la population de chaque Département d'Outremer français présente une opinion publique plus diversifiée et plus nuancée sur la question linguistique. Aux Antilles, la pratique du kreol à l'école semble admise comme une attitude moins militante qu'autrefois, "à la mode", connotée plutôt positivement par les couches cultivées. En Guyane, la question du kreol est souvent posée à côté de celle des autres langues "régionales" notamment les langues amérindiennes. A la Réunion, les camps restent plus tranchés, une bonne partie de la population d'origine rurale et récemment installée dans une vie moderne et citadine restant hostile à cette idée d'installer la langue populaire dans l'institution du savoir, l'associant aux discours séparatistes ou communistes. La petite bourgeoisie employée dans la fonction publique manifeste une certaine méfiance vis-à-vis de cette valorisation identitaire perçue comme excessive et dangereuse. Mais un sondage réalisé par l'Institut IPSOS et publié par le Journal de L'Ile de La Réunion du 30 novembre 2006 indique que l'opinion publique est majoritairement favorable " au créole à l'école " et qu'une véritable transformation des mentalités est en cours.
     
  • Et le milieu éducatif…: c'est dans ce milieu que l'image du kreol se joue, car face à la majeure partie des professeurs, qui reste assez conservatrice et réfractaire au changement, on enregistre l'attitude de plus en plus résolue d'enseignants jeunes, formés aux sciences humaines, soucieux d'établir le contact avec les élèves, qui réclament des stages organisés par des inspecteurs avertis et s'y inscrivent ou qui recommandent des stratégies d'apprentissage intégrant l'usage du kreol (Pr Lambert-Félix Prudent, 2005).

Jimmy Harmon