De l’importance des langues bossales

dans le métissage linguistique du créole

par Emmanuel Richon1, écrivain

Morne Brabant
Morne Brabant, Mauritius. Photo Emmanuel Richon.

Dans le fait de se vouloir essentiellement recherche de filiation et d'ascendance, vision linéaire verticale de la langue, la science étymologique n'est ni neutre ni innocente et se rapproche, par bien des aspects, de la généalogie. Par ses objectifs cachés ou latents, l'étymologie rejoint également la généalogie, dans l'idée d'un ancêtre étymon, de parentés et de cousinages en découlant, de “lignages” éventuels, la recherche d'une causalité simple rejoint alors le concept d'une pureté revendiquée de la langue dans un combat idéologique linguistique éventuellement très connoté. « Etumos » en grec, signifie « vrai », « véritable », aussi, toute assertion en matière étymologique a du mal à ne pas être exclusive.

Maurice Genevoix, en «avant-dire» d'un ouvrage de Camille de Rauville, Mauricien, déclarait ainsi en 19672 :

«C'est pourquoi, au delà des particularismes, des provincialismes, par delà les diverses altérations que lui font subir les langues voisines, il est bon qu'ici et là, au Canada, en Belgique, en Suisse, à l'Ile Maurice, on s'efforce de maintenir, en même temps qu'une langue riche, une langue pure.»

Camille de Rauville de surenchérir: «…De plus à Maurice, la langue subit des contraintes opposées mais qui concourent à son affaiblissement et à sa dislocation interne. L'indigence du vocabulaire s'établit par la contamination du patois (qui est un français pauvre), lequel oriente le français vers son niveau le plus bas.»

En fait, la recherche obsessionnelle d'un continuum lexical roman dans la langue créole est à intégrer dans la perpétration d'un crime originel, fondateur de la société créole et fait donc partie d'un discours d'aliénation visant à soumettre une culture à une autre, à la mépriser et à l'avilir par un système de comparaisons et de références constantes, arbitraires et erronées. L'illusion de ce continuum linguistique stipule fondamentalement l'inexistence de cette rupture fondatrice de la culture créole en même temps qu'elle pose son absence d'autonomie.

L'étymologie traditionnelle, telle qu'elle fut conçue, pratiquée et enseignée jusque dans les années soixante-dix, n'admettait pas le métissage culturel : pas d'étymologie mixte ou croisée, la filiation se devait d'être pure, verticale et sans bavure. Au cas contraire, la langue créole se voyait qualifiée d' «abatârdie » et entachée d' « hybridation».

Dans le cas précis des langues créoles, l'étymologie entraînait nécessairement la vision et la compréhension d'une langue dans ses rapports constants à une autre, introduisant nécessairement des notions hiérarchiques et comparatives totalement faussées car stipulant des liens unilatéraux et à sens unique. Le créole entrait ainsi dans un étroit rapport de dépendance au français, duquel il semblait découler en presque totalité, du point de vue de son lexique.

La filiation du créole au français semble à ce jour ne faire aucun doute auprès de tout un chacun, au point que certains ont même cru devoir classer les langues créoles de l'océan Indien ou des Caraïbes parmi les langues “romanes” , ce qui est un comble après le fameux «nos ancêtres les Gaulois».

Lorsque les plus hardis s'aventurent à recenser les mots d'origine africaine et malgache ou à théoriser sur l'influence idiomatique des langues de l'Inde sur le créole, ce n'est que pour mieux reconnaître en définitive l'étroitesse du vocabulaire originaire de ces parties du monde et, en fin de compte, démontrer a contrario, l'omnipotence du lexique d'origine française.

Tous les mots du lexique furent le plus souvent considérés dans un schéma de causalité simple et vertical.

Enfin, et plus profondément encore, le mot ne fut jamais envisagé comme pouvant très bien avoir fait l'objet de paronymies insoupçonnées entre deux ou plusieurs langues. Son entrée au sein d'une langue pour des raisons de similitudes phoniques interlingues, n'a jamais été sérieusement étudiée.

L'objectif inconscient des étymologues ne revenait qu'à décharger la langue de toutes les couches d'expériences accumulées en elle, en fait, d'écarter l'Histoire, de révoquer le temps. Les mots atomisés furent nettoyés ; sans changement, ils acquirent même préséance sur la langue, ils devinrent interchangeables d'une langue à l'autre, intacts. Niant le fait que l'histoire ait bien migré dans chaque mot, l'étymologie tissa patiemment son continuum, imaginant pour chacun d'eux la restauration d'un sens originaire, à la poursuite duquel elle court encore, rêvant d'extirper ce qui fut acquis de haute lutte : un nouveau sens.

Dès lors, dissocier les associations préétablies, défaire l'immédiateté des couplages lexicaux entre deux langues, “dissimiler” comme disent les traducteurs, n'a rien d'évident, tant ces relations semblent admises d'emblée et ancrées de longue date dans les esprits.

Ceux qui, à partir d'une pseudo-étymologie considérèrent la langue comme une simple nomenclature lexicale de laquelle pouvaient s'extraire des “tables de concordances” établirent durablement un malentendu vis-à-vis de la langue créole, n'analysant toute problématique de différenciation qu'en tant que simple cryptographie et non en tant que compréhension d'un autre contexte culturel, considérant la situation linguistique référentielle comme étant la même.

Cette vision étymologique du créole est donc un état de langue achronique où est occultée la dimension diachronique du changement linguistique, sémantique et même grammatical, en bref, une fiction. C'est tout le problème plus général de la distance interlinguistique qui se trouve posé, l'idée même de synonymie qui est en cause, le fait d'avoir totalement « terminologisé » l'ensemble d'une langue pour la mettre arbitrairement en concordance bi-univoque intégrale avec une autre.

Dans la conclusion de sa thèse sur « le parler créole de La Réunion », R. Chaudenson, s'employa à retirer toute origine africaine, indienne ou malgache dans la genèse des langues créoles :

« Certes, ce parler a évolué dans des conditions socio-historiques très particulières, au contact de langues serviles3 diverses, mais sans que ces dernières aient pu apporter au système nouveau des éléments suffisamment importants pour justifier qu'on le qualifie de “mixte”. »

Dès lors, l'hypothèse de l'interférence et de l'influence d'autres origines ne fut même plus considérée, les variations lexicales de la «langue–base», pourtant importantes, ne furent jamais jugées suffisantes pour envisager des modifications ayant pour cause des alloglottes d'origine extra-française.

Deux langues différentes, ce n'est pas seulement deux visions du monde différentes, mais aussi deux mondes réels différents. La coïncidence traductionnelle exacte de deux éléments d'un même champ sémantique, dans deux langues différentes, est presque toujours impossible.

Détecter systématiquement l'origine française d'un mot en faisant fi des processus de transformation qui le caractérisent pourtant, c'est mettre l'accent sur une source en particulier et une seule, sans se soucier de changements pourtant bien audibles, caractéristiques et reproduits à de nombreuses reprises dans la langue.

L'étymologie traditionnelle, telle qu'elle s'est intéressée aux mots du créole, ne l'a fait qu'en se focalisant, de manière ethnocentrique, sur la partie du mot français demeurée intacte et sans se pencher aucunement sur les changements intervenus sur ce même mot, sous-entendant sans doute que ceux-ci seraient secondaires. Du profond travail contenu au sein de ces modifications lexicales, rien ne fut relevé car rien ne fut envisagé en tant que travail d'appropriation ou d'acculturation, de métissage linguistique, où “l'alloglotte” supposé d'une prétendue langue-base, aurait pourtant eu sa part évidente.

Ainsi, le Dr Bos trouvait le créole « informe », allant jusqu'à dire : «l'esprit borné de ces races, incapable de saisir bien des nuances du français, et l'impossibilité de prononcer certains sons qui n'existaient pas dans leur langue, ont modifié la phonétique et encore plus la flexion et la syntaxe du français.»4

Bien au contraire, ces changements morphophonétiques du mot, ne furent analysés et compris qu'en tant qu'approximations, apprentissage défectueux et ne pouvant témoigner d'une quelconque origine culturelle, la source française n'ayant jamais été que la seule envisagée au niveau lexical par les linguistes. La théorisation de la filiation unique et linéaire français/créole a été admise d'emblée, « prise pour argent comptant », sans remise en question, sans notamment, émettre l'hypothèse d'une filiation ou plutôt, d'une parenté plurielle, métissée, mixte.

On imagine sans peine à quel point furent néfastes les conséquences de cet ethnocentrisme en termes de considérations racistes et d'appréciations dévalorisantes, la langue créole n'étant jamais envisagée de manière autonome mais sans cesse considérée comme une langue en quelque sorte orpheline . Seuls furent considérés comme ayant une origine vernaculaire, afro-malgache ou indienne, les quelques mots dont la morphophonétique ne laissait aucun doute quant à l'impossibilité de les incorporer dans le lexique d'origine française d'où l'apparence d'une prédominance écrasante du français dans l'origine du vocabulaire créole.

En définitive, la thèse eurogénetiste, essentiellement fondée sur l'illusion de la notion de continuum linguistique entre français et créole, aboutit au refus d'une richesse multilingue, maintenue à l'état de douleur diglossique, d'où toute reconnaissance extra-européenne se trouve bannie.

Robert Chaudenson a lui-même reconnu implicitement le rôle des paronymies dans un paragraphe de son livre, mais en ne l'envisageant qu'à sens unique, toujours vers le français, sans émettre l'hypothèse pourtant logique, que les esclaves eux-mêmes aient pu procéder à de pareils phénomènes d'appropriation. Loin de systématiser, il voit dans ce phénomène un état d'exception, alors que nous pensons au contraire que ce procédé touche tout le lexique, parfois sans que nous nous en doutions:

Même des origines lexicales assurées n'excluent pas des réseaux d'influences fondés sur des rencontres formelles (paronymies…).

Déjà de Brosses, dans son Traité de la formation mécanique des Langues (TI, p.18) faisait allusion à ces paronymies.

Par ailleurs, M. Alleyne, linguiste, a, semble-t-il, conçu une idée très semblable à celle développée ici, mais sans la systématiser:

«Dans leur apprentissage du français, les esclaves noirs, ont pu adapter plus ou moins exactement toute une série de phonèmes français qui avaient des correspondances de la même qualité acoustique et physiologique dans leurs langues. Ces “transferts positifs” représentent un facteur dont les partisans mêmes de la théorie du substrat ont négligé l'importance. Le concept du substrat a toujours considéré les habitudes préexistantes qui différaient totalement ou en partie de la langue nouvelle et a exclu les traits identiques ou semblables dans les deux langues en question.»5

En effet, maintenir l'évidence de l'étymon lorsque celui ci ne possède plus aucune pertinence pour le locuteur créolophone, c'est créer une illusion, une véritable nostalgie coloniale qui ne correspond plus à rien dans la pratique langagière. Pire que cela, c'est maintenir le vécu étymologique de la langue du maître au sein d'une autre langue, ce qui n'a aucun sens et participe d'un crime.

Une des questions est donc de savoir comment traiter tout le système connotatif mauricien ? Peut-il décemment n'être considéré qu'en tant que simple variante des connotations françaises quand on sait que les changements sont profonds, systématiques et que le nouveau système créole possède ses propres cohérences incompréhensibles d'un francophone ? Peut-on rabaisser la connotation au rang de l'à-peu-près d'un ajustement contextuel ? Les nouvelles valeurs connotatives sont-elles à intégrer en tant que simples « valeurs supplémentaires » ayant une certaine « saveur » affective, comme semblait le concevoir en son temps le linguiste comportementaliste L. Bloomfield ?

Et, même à considérer que la connotation serait définie comme un sens subjectif, ce qu'elle n'est pas, s'agit-il d'une subjectivité empirique ou transcendantale ? Est-elle un phénomène individuel, un acte de parole, ou un fait collectif, de langue ?

Les connotations font partie de la pragmatique, qui désigne les relations entre les signes et leurs utilisateurs. Si valeurs affectives il y a dans un énoncé, c'est qu'elles sont bien communes au locuteur comme à l'auditeur.

Etant donné le fait que les connotations sont toujours faites pour être partagées, qu'elles sont toujours conçues par rapport à un « feed-back » de l'interlocuteur, il devient impossible d'en faire des franges individuelles du signifié, quelque chose qui relèverait de la pure et simple idiosyncrasie individuelle de chaque locuteur.

Prétendre que les connotations de ces mots seraient encore françaises alors qu'elles sont rigoureusement inaccessibles à un francophone, c'est faire passer des vessies pour des lanternes, c'est pulvériser la sémantique des connotations en une poussière contingente et aléatoire incompréhensible.

C'est comme si les lexiques des deux langues, français, créole, s'étaient désormais dissimilés, faisant partie de deux langues-cultures différentes, comme s'il y avait une irruption du champ culturel dans la langue qui élargit le message à l'horizon de toute une culture et de toute une histoire, il existe désormais une vraie dyssymétrie des connotations. Faire référence au lexique français en tant que ressource transcendantale, c'est s'inscrire dans un brouillon mental français, les connaissances du français jouant alors un rôle analogue à celui de «souvenirs-écrans» de la psychanalyse et développant des résistances réciproques entre les deux systèmes, c'est entrer en état de diglossie, c'est refuser le décentrement linguistique nécessaire à la prise en compte d'une langue étrangère.

Il ne s'agit d'ailleurs pas ici de tomber dans l'excès inverse et d'annuler toute étymologie française, au contraire, ce que nous voulons remettre en question est le fait d'une filiation unique, d'un lignage, au profit de pertinences multiples et plurielles, souvent de paronymies, rendant chaque mot beaucoup plus métis et au carrefour de véritables mélanges culturels.

Aussi, l'étymologue a-t-il eu tendance à se rattacher à la seule trace écrite qui lui paraissait existante et plausible, celle du lexique référentiel de la “langue-base” considérée dès lors comme langue d'origine, selon lui « langue-mère », véritable langue “lexifiante” et souvent sa propre langue d'expression.

Cette théorie du métissage linguistique permettrait d'envisager des étymologies plurielles, où, en fin de compte, toute langue se verrait affecter le statut de langue-substrat, français compris.

Nous ne prétendons pas que cette polysémie interlinguistique soit le cas de tout le lexique créole, mais nous pensons simplement que des étymologies systématiquement orientées de manière monolingue ont jusqu'ici présidé à cette recherche des origines. Nous prétendons que cet ethnocentrisme a empêché d'envisager le lexique de manière métissée ou plurielle. Même si cette polysémie n'est peut-être pas généralisée, à nos yeux, elle s'avère répétée de nombreuses fois.

Les conséquences de tout ce qui précède permettraient une fois pour toutes de mettre en concordance, en « accorité », les analyses relatives à la culture créole qui, toutes, aboutissent à un métissage culturel fondamental, et d'autre part, l'analyse de l'un des éléments majeurs de cette même culture, à savoir la langue, qui jusqu'ici n'avait été considérée que dans ses origines lexicales principalement françaises. Il n'est pas infondé de penser que sous chaque mot de la langue créole, par delà l'étymon français supposé, souvent modifié, subsistent les traces d'un autre étymon jusque là passé sous silence.

La langue créole a subi une véritable tentative d'expropriation qui s'est attaquée à elle tous azimuts, sans négliger une théorisation linguistique coloniale attribuant l'essentiel de son apparition à la population des colons et établissant un continuum fondamental entre lexique français et lexique créole, ce qui, par delà le mensonge ou l'erreur, constitue un crime culturel qui participe du crime de l'esclavage dans son ensemble.

La grâce du français, en tant que vérité transcendante, réside d'ailleurs avant tout dans son “originarité”  supposée. On extrapole ce qui est authentique en tant que signification véritable de chaque mot, sur la base d'une instance supérieure extérieure. Le mot créole, régressant à son origine, se remplit d'un « plus » d'origine et conquiert l'apparence d'une plénitude sans distance et sans faille, où l'origine elle-même devient ce « plus », ce supplément qui subjugue, la marque d'un pedigree. Chaque mot français se revêt ainsi d'une estampille, celle d'une illusion, pensée endurcie de l'origine, de quelque chose de plus haut, de plus noble, de plus vrai, de plus pur, de plus exact. Une référence constante crée une ipséité séparée qui devient quelque chose d'extérieur au sujet parlant.

La contradiction qui faisait voir la culture créole comme «métissée» et le lexique créole comme «d'origine française» n'apparaissait même pas flagrante aux intellectuels, aucune contradiction notable ne fut relevée dans tout cela.

Nous pouvons retrouver les mêmes raisonnements francotropiques à l'œuvre dans l'étymologie. L'essentiel, pour nous, n'est pas de nier cette origine, mais d'insister sur le fait qu'à ce jour, d'autres pistes n'ont jamais été explorées.

Même à admettre une étymologie avérée, le concept de métissage demeure, simplement par le fait du fonctionnement phrastique du créole. Par exemple, la possibilité de duplication des mots permet un doublement systématique du lexique réellement répertorié.

Un certain nombre de combinaisons de verbes composés semblent véritablement constituer des ensembles lexicalisés.

Il s'avère que les langues créoles sont très spécifiques de ce point de vue, ayant créé des procédés d'affinements sans dérivation, par juxtapositions ou simples redoublements qui rendent caduques les appréciations linguistiques valorisantes en fonction des comptabilités lexicales et des quantités de mots dénombrés.6

Les différences syntaxiques entre langues sont fondamentales, l'armature est chaque fois différente et la raison même d'une langue n'est pas que communicative, elle encadre toute notre façon d'appréhender le monde et d'agir. On aperçoit que le sens est littéralement construit (bâti, disposé, organisé) c'est-à-dire formé de façon différente selon les langues.

Les mots ne peuvent pas être compris correctement, séparés des phénomènes culturels localisés dont ils sont les symboles.

Le créole, en instaurant un système invariable et en s'interdisant le plus possible les systèmes de dérivation lexicale, est parvenu à produire, en fin de compte, des structurations non-arbitraires du contenu sémantique, par exemple par combinaison ou redoublement.

La pidginisation quant à elle, cause la création d'ensembles illimités, de par leur nature combinatoire même, et ouverts, qui prévoient la possibilité d'intercalation d'un nombre infini de termes entre deux de leurs termes, une sorte de multiplication possible et latente par combinaison et redoublement.

Il s'agit d'une sorte de «lexique transformationnel7», espèce d'algèbre permettant d'opérer sur les formules symboliques des structures d'une langue comme sur les formules d'un calcul.

L'étymologisation de la langue créole aboutit à un transcodage, le lexique se trouve être sans prise sémiotique sur la culture et l'histoire auxquelles il réfère ; le jeu de la syntaxe quant à lui, se voit abusivement restreint aux règles peu nombreuses et strictement définies d'une combinatoire formelle transparente et surtout il n'y a plus place pour l'idiomatique, les habitus phraséologiques, les sédimentations innombrables de la rhétorique et de la périlangue (culturelle, référentielle et comportementale) … sans même parler des connotations.

Il n'est pas exact d'affirmer que les premiers locuteurs de pidgin n'aient eu à leur disposition aucun modèle préexistant, aucune langue d'origine qui se comportât comme substrat vis-à-vis des langues nouvelles, à savoir celles des colons et le pidgin lui-même. Les recherches les plus récentes remettent en cause la thèse de l'anéantissement linguistique, de la même façon d'ailleurs que la recherche historique des quinze dernières années a remis en question la vision prédominante de l'esclavage en mettant en valeur les nombreuses dynamiques de résistance jusque là volontiers passées sous silence.

Si nous avons choisi le titre de Langaz kreol/Langaz maron, ce n'est pas par simple volonté provocatrice, mais plutôt pour réhabiliter la part d'origine plurielle du créole, occultée, qui incombait à la population esclave.

Notes

  1. Emmanuel Richon est l'auteur d'un ouvrage sur l'étymologie et l'origine des langues créoles, Langaz kreol / Langaz maron, éditions Ledikasyon pu travayer (L.P.T.), 2004, Port-Louis. Le livre se trouve également lisible en version numérique sur internet ici.
  2. Lexique des mauricianismes à éviter. Ed. « Le Livre mauricien »
  3. Relevons la nuance contenue dans l'expression « langues serviles » employée pour signifier « langues des populations réduites à la servilité ».
  4. In Notes sur le créole qu'on parle à Maurice (Romania 9, 1880)
  5. M. Alleyne, « La nature du changement phonétique dans le créole d'Haïti », in Revue de Linguistique Romane, XXX, 1966, p.303.
  6. De ce point de vue, nombreux sont les linguistes créolistes à avoir fait fausse route et à s'être escrimés à dénombrer le plus de mots possibles, pensant trouver dans leurs résultats la preuve d'une richesse linguistique, … à l'image des langues européennes. C'est au contraire l'inverse qui nous paraît faire preuve de génie, qu'avec peu de mots, certaines langues peuvent très bien exprimer autant de nuances linguistiques que d'autres nécessitant, quant à elles, autant de mots différents que de nuances spécifiques indispensables au discours et par là-même, autant de remémorations fastidieuses.
  7. par référence à la grammaire transformationnelle.