L’enseignement du créole en débat…

Rodolf ETIENNE

Daniel Barreteau

Daniel Barreteau (Directeur de recherche de l'IRD,
coordonnateur du projet AREC-F)

Le 28 mars 2007, en collaboration avec l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Guadeloupe, une table ronde sur l’enseignement du créole en Guadeloupe était organisée par l’Atelier de recherche sur l’enseignement du créole et du français dans l’espace américano-caraïbe.

Daniel Barreteau, responsable de l’AREC-F, Mirna Bolus, doctorante (Université Antilles Guyane) et Max Dorville, directeur de l’IUFM Guadeloupe, en organisant cette rencontre ont permis aux différents intervenants de porter un éclairage nouveau sur les questions liés aux enjeux de l’enseignement du créole. Chercheurs, enseignants, étudiants et écrivains, ils étaient une dizaine à présenter le résultat de leurs recherches ou de leurs expériences pédagogiques.

Où en est l’enseignement du créole et la recherche en matière de langues et cultures régionales? Cette question capitale pour toutes les sociétés créoles, placée dans le contexte guadeloupéen, semble résonner plus claire encore. L’île, compte tenu de ses singularités culturelles et du dynamisme affiché en matière d’enseignement et de recherche dans le domaine des LCR, semble un laboratoire parfait pour l’analyse. De fait, nombreux étaient les exposés qui, mis en perspective à travers des procédés liés à l’enseignement et s’appuyant sur des expériences de terrain, une analyse concrète de l’existant, abordaient des thématiques clairement attachées aux singularités de l’île. Dans le droit fil de cette affirmation, la présentation de Marie-Hélène Jakoby-Koaly: «Eduquer aux croyances», était très remarquable et, stigmatisant la forte implication des pratiques magico-religieuses dans la culture guadeloupéenne, elle posait la question de l’engagement de l’enseignant en LCR. Une analyse qui n’a pas manqué de susciter le débat. Dès lors, dans ce cas particulier, comme dans d’autres, quels outils employer pour « coller aux réalités insulaires»?

Justement, concernant les outils à disposition des enseignants, Mirna Bolus (doctorante à l’Université des Antilles et de la Guyane), proposait un aperçu éloquent, mettant en exergue le manque caractérisé de supports pédagogiques et les difficultés auxquelles sont confrontées les enseignants au quotidien. Dans sa conclusion, elle réaffirmait la nécessité de la production «tous azimuts» d’œuvres en créole et du développement d’outils pédagogiques adaptés.

A mesure des présentations, on s’en rendait compte, les débats tournaient subrepticement autour de l’analyse de «concepts culturels et identitaires, voire politiques». Le champ d’investigation s’étendait donc à d’autres domaines de l’enseignement. De manière fort subtile, était abordé, plus généralement, la situation et la place du créole dans l’ensemble de la société guadeloupéenne. Cette formule, lancée par Max Dorville, directeur de l’IUFM est, en ce sens, très éloquente: «Fodé pa nou anni rété la ek di sé LCR ki ka’y tiré nou-la» (Il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit l’enseignement des LCR qui règle tous nos problèmes). La poursuite des débats, autour de la notion de «handicaps culturels», était très explicite également.

LCR et Culture Régionale

Comment envisager le rapport de l’enseignement des LCR dans le champ culturel général? On est forcé de constater qu’il existe en Guadeloupe une pratique de l’enseignement spécifique, qui ne peut se défaire de l’impact de la langue vernaculaire. Frédéric Anciaux (MCF IUFM), dans une analyse pertinente, s’intéressant à l’enseignement du sport en Guadeloupe et en Haïti, tirait des conclusions très instructives. Intitulée «Alternance codique en EPS dans la Caraïbe : usages et effets de la langue créole au cours des pratiques physiques et sportives», sa présentation illuminait le rapport intime et particulier qu’entretenait les imaginaires créole et français. Il stigmatisait ainsi les relations entre la valeur d’imagerie des mots, les capacités mnésiques et les performances motrices et verbales chez des bilingues français / créole.  Alternant français et créole, son enseignement du sport, répondait, selon lui, à une nécessité qu’il avait ressenti chez ces élèves, convaincus qu’ils étaient de mieux assimiler les différentes techniques sportives enseignées par le médium de la langue vernaculaire.

Paulette Durizot Jean-Baptiste (IUFM), pour sa part, avec «Que signifie pour vous "Enseigner en milieu créolophone"?  La portée éducative des réponses des professeurs des écoles stagiaires», mettait le doigt sur l’essentiel de la démarche de l’enseignement en milieu créolophone. Elle prouvait que les professeurs stagiaires étaient très tôt confrontés à ce rapport entre les deux imaginaires, et qu’à travers le module «Enseigner en milieu créolophone», ils estimaient être interpellé au plus profond de leur être, forcé invariablement de s’interroger sur la valeur intrinsèque de l’objet enseigné. Renforçant cette affirmation, la linguiste Juliette Sainton, avec «Les contraintes exercées par la langue orale sur les apprentissages en langue d’éducation. Une didactique des apprentissages. Le cas du contexte créole / français», traitant de la conscience phonologique rendait compte du contraste qui existait entre la phonologique créole et française, concluant sur la nécessité d’élaboration, pour les enseignants stagiaires, d’une «méthode particulière de l’enseignement en milieu créolophone».

A Sainte-Lucie et à la Dominique aussi…

Hors du cadre strict de l’enseignement et de la recherche en Guadeloupe, Lindy Ann Alexander (Komité Kréyol de Sainte-Lucie) et Ophélia Marie (Membre du Comité d’études créoles de la Dominique), apportaient un éclairage en ce qui concerne leur pays respectifs. Il semblerait que pour ces deux îles, même s’il reste encore beaucoup à faire, on assiste à un regain d’intérêt pour la langue vernaculaire qui se manifeste par une augmentation des classes où est enseigné le créole. Mais, là encore, les carences sont nombreuses. Et, seul le talent des enseignants pallie un manque, qui, s’il n’est pas pris en compte rapidement par les autorités compétentes, s’avérera préjudiciable pour l’ensemble de la communauté créole caribéenne.

A la clôture des débats, un grand nombre des questions soulevées trouvaient des réponses justes, permettant, à terme, d’envisager un plan d’actions précises. Daniel Barreteau, membre fondateur de l’AREC-F, et cheville ouvrière de cette rencontre, affirmait en matière de conclusion de la table ronde: «Si depuis 1999, élèves et enseignants n’ont cessé d’augmenter les effectifs des classes de LCR, il apparaissait nécessaire d’examiner où en était la recherche concernant l’enseignement du créole dans le département, la recherche étant un puissant moteur de développement». Il est évident que la recherche relative à l’enseignement du créole a fait de grands progrès. Des avancées qui permettent de considérer plus sereinement l’avenir et de prétendre offrir aux générations futures un enseignement mieux adapté à l’environnement linguistique et culturel. Outre ces avancées et l’engouement que l’on peut percevoir, de nombreuses questions se posent néanmoins: faut-il enseigner le créole ou enseigner en créole? Comment aborder la complémentarité des systèmes (créole et français)? Comment assurer effectivement une bonne continuité dans les cursus scolaires? Comme champ d’investigation, la Guadeloupe, il n’est pas vain de le répéter est un modèle. La législation est bien établie et les autorités politiques soutiennent l’enseignement des LCR à tous les niveaux. Daniel Barreteau précisait toutefois qu’il y avait urgence à coordonner des projets de recherche-action de manière à mieux gérer collectivement l’enseignement du créole, en répondant à des questionnements, en capitalisant les acquis, en diffusant les résultats, en rendant compte des expériences menées par les uns et les autres.

Rodolf ETIENNE
coordinateur Caraïbe de l’Organisation Internationale des Peuples Créoles.

Table ronde sur l'enseignement créole en Guadeloupe.

Table ronde sur l'enseignement créole en Guadeloupe.

Compte rendu de la table ronde sur le site Potomitan.