Interview du Pr Raphael Confiant (Premiere partie)
Au cours de notre séjour à Las Vegas, participant au symposium et à la mise sur pied de L’Organisation International des Peuple Créoles, nous avons eu le plaisir et l’honneur, non seulement de rencontrer, mais aussi de participer a des sessions de travail aux côtés de Raphaël Confiant. Nous nous sommes enrichi à travers ses exposés et ainsi bénéficié de son vaste expérience du monde créolophone.
Raphaël Confiant est Maître de conférence à L’Université des Antilles et Guyane, il détient un doctorat en Anthropologie en littérature Créole. Il a de nombreux ouvrages à son actif si bien qu’ils pourraient constituer une bibliothèque à eux tout seuls. Il a participe à de nombreux colloques ou symposiums sur le Créole a travers le monde ; il est membre actif de plusieurs organisations Créoles dont Banzil Kreol Martinik. Il est connu pas seulement comme un grand academique mais aussi comme un militant culturel. Ce fut donc à l’unanimité que le Pr Confiant fut nomme le premier Président de L’IOCP.
Le Créole Courier : Rapahel Confiant, avec votre collaboration nous venons de mettre sur pied une organisation qui a pour ambition de rapprocher le monde Créolophone. Quel est votre sentiment d’être le premier Président de ce mouvement ?
Rapahel Confiant : D’abord je dois avouer que quand on m’a invité à ce symposium, j’étais plutôt sceptique parce que Las Vegas ne me paraissait pas être un lieu de travail mais plutôt un lieu de loisir, de vacances avec les casinos et le night life. Néanmoins, j’ai pris le risque de venir à Las Vegas même si j’ai dû refuser l’invitation d’une grande université des Etats-Unis. Je dois admettre que j’aurais eu tort de m’être fait porter absent vu la détermination des initiateurs, je veux parler du « Centre Culturel de Sydney », et le caractère sérieux du travail abattu pendant ces quelques jours. Cela m’a permis de découvrir d’autres réalités du monde créole, de faire connaissance avec le Créole diaspora de L’Australie et aussi comprendre le combat et la situation des Créoles des Etats –Unis. Je suis heureux que nous puissions maintenant les inclure dans nos démarches et les forums internationaux.
La mise sur pied de L’Organisation Internationale des Peuples Créoles est venue combler une grande lacune depuis la mort de Banzil Kreol, sauf à la Martinique où il n’a jamais cessé de fonctionner depuis sa création à Sainte-Lucie en 1981. Je pense que Banzil Kreol a failli parce qu’il était limitée au monde universitaire. C’est pourquoi nous avons décide que L’IOCP sera une organisation ouverte a tous les activistes, auteurs, animateurs culturels, artistes, académiques, étudiants, club or organisations qui oeuvrent pour la promotion de la langue et de la culture créole. Ce sera une politique d’inclusion.
Il n’y pas de doute que je suis très fier d’avoir été pressenti pour assumer la présidence de ce mouvement international; ce ne sera pas une tache facile de rassembler les quelques millions de Créoles de la Caraïbe, de L’Océan Indien et d’ailleurs, mais nous pensons que ce sera un projet qui se concrétisera a long terme. Nous commencerons avec ceux qui sont déterminés et espérons que cela fera boule de neige. Le plus important c’est la volonté de donner aux Créoles une plateforme de solidarité. L’IOCP nous permettra d’aller plus loin dans nos démarches de consolider nos liens et de réaliser nos projets ensemble.
Le CC : Au « Créole Courrier », quand on parle du créole, nous mettons toujours l’accent sur le caractère et la dimension internationale. Pensez vous qu’il y a une Culture Créole ?
RC : Cela fait un moment que j’ai pris connaissance de ce site et j’ai pris beaucoup de plaisir à constater que le « Créole Courrier » en collaboration avec le Centre Culturel de L’Australie, fait un travail remarquable de conscientisation et d’éducation pour justement donner une dimension internationale a la chose Créole, et faire découvrir l’existence des autres peuples créoles en dehors de L’Océan Indien.
Bien sûr qu’il y a une culture créole qui va au-delà des frontières insulaires et cela devient évident quand j’écoute la musique de Rodrigues et que je constate combien elle est proche de la musique de La Caraïbe, nous avons aussi cette même manière de chanter. Quand vous me faites écouter les romances, cela me rappelle mon enfance. Il y a tant de choses en commun dans le monde Créole, il y a une histoire commune, la langue, la cuisine, l’architecture, les valeurs, les traditions, la façon de vivre, de voir la réalité, de s’amuser, les traditions orales, les coutumes, etc.… Nous avons apporté au monde une civilisation qui l’a incontestablement enrichi.
Malheureusement c’est une culture qui est menacée et ou il faut toujours lutter pour sa survie. Elle est menacée de l’intérieur par les divisons entre Créoles qui ne militent pas suffisamment ou encore par un certain complexe vis-à-vis des autres cultures. Nous souffrons aussi d’un manque de Créolistes militants. Une culture ne peut pas survivre si on ne la défend pas. Regardez par exemple les millions d’euros et de dollars que la Francophonie, la France et le Québec dépensent pour défendre la langue française. Nous, Créoles, combien dépensons nous pour défendre notre culture ? Nous n’arriverons pas à défendre notre culture qu’avec des mots, si nous ne faisons que parler et ne pas agir, nous risquons de perdre la bataille et même la guerre. Il faut aussi l’action et malheureusement pour passer à l’action il y a l’aspect matériel. Il faut de l’argent pour les conférences, les rencontres et échanges, les activités culturelles, la publication, les recherches, la vulgarisation, la conscientisation, le marketing, la mise sur pied des structures, la communication, etc...Nous avons confiance que le combat va continuer a travers l’Organisation Internationale des Peuple Créole et la bonne volonté de ceux qui épousent notre philosophie et qui se joindront a nous pour continuer le combat.
Le CC : Parlez nous justement de ce combat que vous et vos amis Créolistes ont livre aux Antilles, (Martinique et Guadeloupe) Guyane et les autres îles Créoles eg La Réunion ?
RC : Tout le monde sait que La France a une politique très centraliste. La France n’a aucun intérêt à promouvoir une langue régionale et fait tout pour pousser le français en avant. Depuis 30 ans, nous luttons pour que le gouvernement Français accepte et reconnaisse la culture et la langue créole. D’abord, nous avons commencé par l’instauration des Etudes Créole à l’Université des Antilles et de la Guyane, plus précisément par la mise sur pied d’une licence, d’une maîtrise et d’un Doctorat. Il ne faut pas croire que le gouvernement Français a toujours était réceptif à nos demandes, c’est tout a fait le contraire ! Il a tout fait pour nous mettre les bâtons dans les roues. Mais nous étions déterminés, nous avons utilisé les lois françaises elles-mêmes pour nous défendre. Ainsi puisque les Français protégent les langues et cultures régionales dans l’Hexagone, par exemple en Bretagne et en Corse, eh bien, nous avons exigé que ce soit le cas pour le créole. Si vous voulez, nous les avons pris à leur propre piège. Nous servi zot zarm pou bat zot comme on dit dans votre créole de l’Océan indien. Mais le combat est loin d’etre terminé parce que La France quand elle donne un petit bout par ici, elle reprend un gros morceau de l’autre côté. Il faut demeurer toujours vigilant. Il faut toujours lutter pour préserver nos acquis. Mais disons que nous sommes satisfaits que nous avons atteint une partie conséquente de nos objectifs : aujourd’hui, le gouvernement Français recrute des fonctionnaires pour enseigner le créole dans les écoles. Il y a trente ans de cela, cela aurait été impensable. Si on m’avait dit cela à l’époque, j’aurais ri un bon coup. La morale de cette lutte est que si vous persévérez avec sincérité et conviction, vous finirez par obtenir de bons résultats. Une fois le résultats obtenu le combat deviendra plus facile.
CC : Je suppose que vous n’êtes pas sans savoir que la situation a évolué, même lentement, dans les îles créolophones de l’Océan indien ?
RC: Nous sommes heureux de constater que les Seychelles font également un travail énorme pour la promotion du créole depuis quelques années et que la langue créole y possède aujourd’hui un statut officiel. Nous avons aussi appris qu’à Maurice et Rodrigues il y a une volonté d’introduire le créole dans les écoles. C’est un pas dans la bonne direction. Si vous n’introduisez pas votre langue dans les écoles, elle va finir par disparaître. Regardez, par exemple, le Chinois, l’Arabe, etc... toutes ces langues sont solides et vivantes parce qu’elles sont enseignées à l’école. Je suis très heureux d’apprendre que le créole sera bientôt introduit dans les écoles à Maurice et à Rodrigues. Cela permettra d’établir une graphie, une grammaire, une orthographe et un dictionnaire. Le créole deviendra donc une langue normale, une langue comme les autres, ce qui facilitera ensuite l’étude des autres langues comme l’allemand, le français ou l’espagnol.
Il faut souligner que quand on parle de l’étude du créole, on ne limite pas a la langue seulement, il y aussi l’étude de la culture, l’histoire, la littérature, l’artisanat, la pharmacopée etc…. Quand on apprend l’anglais, on apprend également l'histoire de l’Angleterre et la littérature anglaise, eg Shakespeare.
Pour ceux qui disent qu’il n’y a pas suffisamment de publication en créole, je répondrai qu’il y en a plein, que ce soit a Maurice, La Reunion, aux Seychelles, aux Caraïbe, en Louisiane ainsi qu’en Guyane. Je suis le premier étonné de voir la panoplie des livres en créole au Festival Kreol des Seychelles. Par exemple, en Martinique, au niveau de la Maîtrise de créole à l’université, nous étudions les textes en créole mauricien de Dev Virasawmy ou en créole reunionais d’Axel Gauvin ou le poèmes créoles des Seychelles, même si nous avons beaucoup de textes chez nous. Il ne faut pas se limiter à la littérature créole d’un pays exclusivement.
CC : Quel constat faites vous à propos de la Créolité aux Etats-Unis ?
RC: Quand je suis arrivé ici, je savais qu’il fallait que je fasse mon intervention en anglais pour nos amis des Etats-Unis et cela n’est pas un problème car je suis partisan du multilinguisme. Au cours de mon intervention, j’ai parlé de l’origine de la langue créole dans les Caraïbes et ailleurs, de sa formation et son évolution, Quand on parle des Créoles étasuniens, il faut savoir qu’il n’utilisent plus guère la langue Créole. Le créole pour eux est ce qu’on appelle « a heritage language » mais j’ais appris qu’il existe quand même des publications en créole et qu’il y a une volonté chez certains de faire revivre cette langue. D’autre part, même s’ils ne parlent pas le créole, ils ont conservé la musique, la cuisine et la religion. Je constaté qu’il y a une renaissance de la Creolité et quand j’écoute Gilbert Martin, je constate qu’il y a même un militantisme créole très fort aux USA. Il est toutefois regrettable que les Créoles ont fait l’objet d’un certain préjugé, voire racisme, qui n’a malheureusement pas disparu en Amérique. Je connais assez bien La Louisiane, mais je ne savais pas qu’il y avait des Créoles éparpillés à travers les Etats –Unis, en Californie, à Chicago, à Huston etc.… S’ils n’ont pas été invités dans le passé à des rencontres internationales, c’est que nous n’avions pas suffisamment d’informations sur leurs démarches et nous ignorions comment ils étaient organisés. J’ai aussi compris pourquoi ils se disent fièrement être des « French Créoles ».
Avec la réunion de tous les peuples créoles, par le biais de l’IOCP en particulier, de grands horizons s’ouvrent devant nous.
(a suivre)