RENCONTRE AUTOUR DE L’ENSEIGNEMENT DU CRÉOLE

Intervention de Lindy-ann Alexander et de Michael Gaspard
–représentants du Comité Kwéyòl de Sainte Lucie
Lieu : IRD – AREC-F

QUELLE DIRECTION POUR LE CRÉOLE SAINTE LUCIEN ?

JE VOUDRAIS VOUS PRÉSENTER UN CERTAIN NOMBRE D’ÉVOLUTIONS DANS LA PRATIQUE DU CRÉOLE SAINTE LUCIEN.
A  PREMIÈRE OBSERVATION LE ‘KWÉYÒL’ N’A JAMAIS BÉNÉFICIÉ D’UNE PRATIQUE LIBRE DANS AUTANT DE MILIEUX QU’AUJOURD’HUI. ON NE S’ÉTONNE PLUS D’ENTENDRE PARLER CRÉOLE OU DE LE VOIR UTILISER DANS LES DOMAINES PUBLICS OÙ IL ÉTAIT JADIS ABSENT.  MAIS DE QUEL CRÉOLE S’AGIT-IL ? LA GRANDE IRONIE DE LA SITUATION ACTUELLE C’EST QU’ON A PLUS QUE JAMAIS LA LIBERTÉ DE LA PAROLE EN CRÉOLE MAIS ON N’A JAMAIS AUSSI MAL PARLÉ NOTRE SOI-DISANT ‘LANGUE MATERNELLE’.  EN EFFET, POUR UNE GRANDE MAJORITÉ DE PERSONNES ET SURTOUT DE JEUNES, LE CRÉOLE N’EST PLUS LEUR PREMIÈRE LANGUE.

PLUSIEURS FACTEURS PEUVENT EXPLIQUER CETTE GÉNÉRALISATION DE LA PRATIQUE DU CRÉOLE :

  1. Le lancement d’un dictionnaire de créole sainte lucien à la portée de tous (EC$10, un prix symbolique) produit par le ‘Summer Institute of Linguistics’ (SIL Int’l) des Etats-Unis, production à laquelle ont participé plusieurs Sainte Luciens. Il a été publié par le Ministère de l’Education et distribué par le Centre de Recherches Folkloriques. Grâce à sa popularité auprès du public –tous milieux confondus- , la disponibilité du dictionnaire représente un gros progrès pour l’alphabétisation en créole.
  2. Le repositionnement de la politique nationale qui fait reconnaître officieusement le ‘Kw’eyòl’ comme une langue à part entière et le bilinguisme de la société sainte lucienne. Le règlement intérieur a été modifié pour admettre que le discours officiel d’ouverture du parlement prononcé par le Gouverneur Général soit prononcé aussi bien en créole qu’en anglais grâce à l’initiative du Gouverneur Général, fervente promoteur de la langue créole. Le premier ministre, lui aussi, fait parfois des discours en créole lorsqu’il s’adresse à la nation dans les medias.
  3. Le Ministère de l’Education, au début du mandat du Gouvernement, a lancé un programme d’alphabétisation et d’enrichissement qui comprenait l’enseignement du créole dans le cadre de la formation continue.
  4. Au niveau des medias, le Gouvernement a franchi une étape significative au sein de son service d’information en lançant la chaîne nationale de télévision NTN.  La programmation de cette chaîne est  entièrement consacrée à la culture locale, ce qui a bouleversé le panorama de la vie nationale et a donné un nouvel élan à la culture et aux traditions créoles. Sur chacune des 3 chaînes de TV locales, le service d’information du gouvernement présente au moins une émission d’une demi-heure entièrement en créole, animée par un animateur engagé par le Service uniquement pour les émissions en créole, à la télévision comme à la radio.

Le Comité Kwéyòl, depuis sa création, s’est donné les tâches suivantes :

  1. Surveiller le créole parlé par les animateurs de radio et de télévision pour relever les termes et expressions empruntés à l’anglais pour lesquels des termes existent en créole mais ne sont pas utilisés, et les nouveaux mots qui entrent dans le créole avec une prononciation soit totalement anglaise ou modifiée pour leur donner un son créole. Il s’agit là de mots qui désignent des éléments d’une réalité de notre existence aujourd’hui qui n’existaient pas jadis et pour lesquels, donc, des termes en créole n’existent pas. Le Comité, après avoir relevé ces termes-là, va mener un travail de recherche et de réflexion sur ces expressions et proposer des termes créoles existants déjà ou crées en fonction de ce que permet la langue par sa structure et sa morphologie.
  2. Proposer et coordonner des activités qui développent la pratique de la langue dans des domaines inhabituels et en se faisant, développer des attitudes plus positives envers la langue.
  3. Coordonner et documenter des recherches plus poussées sur la langue, par exemple, le recueil de terminologies associées à des technologies créoles dans les différents domaines et qui sont en train de disparaître.
  4. Faciliter l’intégration du créole dans le système éducatif, par l’organisation de la formation de maîtres dans l’enseignement de la langue et la culture créole en recherchant les méthodes d’enseignement les plus adaptées.
  5. Développer des programmes ou émissions de radio et de télévision qui ciblent la jeunesse, et qui instrumentalisent la langue créole dans la recherche d’une identité culturelle sainte lucienne.

DÉFIS À  RELEVER

-Tandis que les attitudes envers la pratique du créole et les traditions culturelles ont beaucoup évolués dans une manière positive, il reste encore quelques irréductibles qui n’ont pas encore admis le rôle positif que peut jouer l’affirmation et le développement du créole dans la construction d’une identité nationale et parallèlement le développement de l’individu. Ces gens-là donc opposent l’intégration du créole dans le système éducatif.

- Toujours au niveau des attitudes, il reste encore quelques stigmatisations associées aux gens qui parlent créole. On a tendance à les dénigrer croyant qu’ils ne savent pas parler anglais.

- L’envahissement du créole par l’anglais est source de beaucoup de soucis concernant la direction dans laquelle se dirige la langue. La question se pose de savoir vers quelle langue doit se recourir le créole pour se renouveler ou pour enrichir sa base lexicale.

- Il semblerait même que la structure fondamentale de la langue soit menaçée par ces emprunts, tous azimuts. Certains mots ont évolué dans leur signification et certains individus dans les médias, exerçant une forte influence sur leurs auditeurs créolophones inventent ou créent leur propre style langagier en créole et leur propre lexique qui sont adoptés entièrement par les auditeurs, surtout les jeunes. Quel recours devant une telle situation ?

- Aujourd’hui la première langue des jeunes, surtout dans la capitale, devient de plus en plus anglais Sainte. Lucien. Ce phénomène tend à se répandre dans les autres Communes. Le créole, devenant une deuxièmement langue et non une première pour les jeunes, obligera à repenser les méthodes d’enseignements de celle-ci.

- La langue est peu pratiquée à l’écrit par la population surtout parce que les gens font toujours un blocage contre le système d’écriture et que la vaste majorité ne l’ont pas encore admis.

- Les résultats des recherches réalisées sur le créole vont devoir être considérés ou incorporés dans les futurs projets linguistiques.

- Finalement, notre dernier défi sera d’introduire l’affichage en créole dans les lieux publics, notamment à l’aéroport, au marché et dans les magasins.  

Le Comité Kwéyòl se compose d’un comité directeur et de personnes ressources à qui le comité directeur fera appel pour leur expertise dans divers domaines du créole pour préparer ses programmes de développement de la langue.

Les fonctions et responsabilités du Comité Kwéyòl portent surtout sur le développement de la langue du point de vue linguistique, didactique et sociolinguistique.