RENCONTRE
AUTOUR DE L’ENSEIGNEMENT DU CRÉOLE
Intervention de Lindy-ann Alexander et de Michael Gaspard
–représentants du Comité Kwéyòl de Sainte Lucie
Lieu : IRD – AREC-F
QUELLE DIRECTION POUR
LE CRÉOLE SAINTE LUCIEN ?
JE VOUDRAIS VOUS PRÉSENTER UN CERTAIN
NOMBRE D’ÉVOLUTIONS DANS LA PRATIQUE DU CRÉOLE SAINTE LUCIEN.
A PREMIÈRE OBSERVATION LE ‘KWÉYÒL’ N’A JAMAIS BÉNÉFICIÉ D’UNE PRATIQUE
LIBRE DANS AUTANT DE MILIEUX QU’AUJOURD’HUI. ON NE S’ÉTONNE PLUS D’ENTENDRE
PARLER CRÉOLE OU DE LE VOIR UTILISER DANS LES DOMAINES PUBLICS OÙ IL ÉTAIT
JADIS ABSENT. MAIS DE QUEL CRÉOLE
S’AGIT-IL ? LA GRANDE IRONIE DE LA SITUATION ACTUELLE C’EST QU’ON A PLUS
QUE JAMAIS LA LIBERTÉ DE LA PAROLE EN CRÉOLE MAIS ON N’A JAMAIS AUSSI MAL PARLÉ
NOTRE SOI-DISANT ‘LANGUE MATERNELLE’. EN
EFFET, POUR UNE GRANDE MAJORITÉ DE PERSONNES ET SURTOUT DE JEUNES, LE CRÉOLE
N’EST PLUS LEUR PREMIÈRE LANGUE.
PLUSIEURS FACTEURS PEUVENT EXPLIQUER CETTE GÉNÉRALISATION DE LA PRATIQUE DU
CRÉOLE :
- Grâce aux campagnes de sensibilisation et de défense
de la culture créole menée par le Centre de Recherches Folkloriques de
Sainte Lucie, il y a un grand engouement pour la culture créole y compris pour
la langue depuis quelque temps. Ces campagnes se faisaient surtout autour
de la ‘Jounen kwéyol’,
au début, et depuis l’année dernière, elles portent, sur tout le mois
d’octobre, autour d’activités pour célébrer notre patrimoine culturelle
créole.
- Les écoles demandent beaucoup plus spontanément de
visiter les lieux d’importance historique, culturelle et de notre
patrimoine. Les demandes de cours de créole se font de manière sporadique
et ponctuelle – surtout pendant le mois d’octobre. Récemment au cours d’un
échange scolaire, une école primaire trinidadienne a été invité à apprendre le créole, enseigné par les élèves eux-mêmes.
- Les initiatives du gouvernement travailliste, depuis
son accès au pouvoir en faveur de la langue créole, à savoir :
- Le lancement d’un dictionnaire de créole sainte lucien à la portée de tous (EC$10, un prix symbolique)
produit par le ‘Summer Institute of Linguistics’ (SIL Int’l)
des Etats-Unis, production à laquelle ont participé plusieurs Sainte Luciens. Il a été publié par le Ministère de
l’Education et distribué par le Centre de Recherches Folkloriques. Grâce à
sa popularité auprès du public –tous milieux confondus- , la disponibilité du dictionnaire représente un gros progrès pour
l’alphabétisation en créole.
- Le repositionnement de la politique nationale qui
fait reconnaître officieusement le ‘Kw’eyòl’
comme une langue à part entière et le bilinguisme de la société sainte lucienne.
Le règlement intérieur a été modifié pour admettre que le discours
officiel d’ouverture du parlement prononcé par le Gouverneur Général soit
prononcé aussi bien en créole qu’en anglais grâce à l’initiative du Gouverneur
Général, fervente promoteur de la langue créole. Le premier ministre, lui
aussi, fait parfois des discours en créole lorsqu’il s’adresse à la nation
dans les medias.
- Le Ministère de l’Education, au début du mandat du
Gouvernement, a lancé un programme d’alphabétisation et d’enrichissement
qui comprenait l’enseignement du créole dans le cadre de la formation
continue.
- Au niveau des medias, le Gouvernement a franchi une étape
significative au sein de son service d’information en lançant la chaîne
nationale de télévision NTN. La
programmation de cette chaîne est entièrement consacrée à la culture locale, ce qui a bouleversé le
panorama de la vie nationale et a donné un nouvel élan à la culture et aux
traditions créoles. Sur chacune des 3 chaînes de TV locales, le service d’information
du gouvernement présente au moins une émission d’une demi-heure entièrement
en créole, animée par un animateur engagé par le Service uniquement pour
les émissions en créole, à la télévision comme à la radio.
- Concernant les stations de radio, elles offrent
presque toutes des créneaux horaires réguliers d’émissions en créole et
embauchent à plein temps des animateurs qui travaillent uniquement en créole (émissions sur la santé, la banane, l’actualité,
la météo, discussions, débats interactifs, etc.)
- Toujours dans les medias, on assiste à un phénomène
d’initiatives privées sur le développement du créole, au niveau de la
presse écrite, de la publication de livres éducatifs et d’émissions
télévisées : M. Michael Walker, par
l’intermédiaire de sa société ‘An Tjè Nou’ a publié toute une série de livres d’école et de cahiers
pour le niveau primaire qui pourraient être utilisés pour l’enseignement
du créole dans les écoles. Quelques exemplaires en exposition ... . La
même société a réussi à obtenir 4 pages en créole dans l’un des principaux
journaux de l’île, pages qu’elle réussit à remplir toutes les semaines
depuis, au moins, six mois, avec contes, images, poèmes, jeux ludiques, extraits historiques,
proverbes, paroles d’inspiration et extraits du Nouveau Testament.
- Un autre composant de l’initiative de cette société
privée est la production de l’émission de télévision ‘Bonjou Sent Lisi’, une émission de 15 minutes consacrée
à l’apprentissage de la langue et animée par une native du créole et deux
apprenants. L’émission est cofinancée par l’Ambassade de France.
- La popularisation de la langue se fait aussi à
travers les calypsos qui sont composés soit partiellement ou entièrement
en créole pendant la saison du Carnaval et de Noel.
- Dans le domaine de la publicité, le créole a sa
place aussi. De plus en plus de publicités sont faites en créole et
celles-ci touchent une grosse partie de la population.
- La traduction du Nouveau Testament en créole sainte lucien et les cours de lecture du créole donnés par le
pasteur Peter Samuel dans diverses communes de Sainte Lucie et de la
Dominique assure la généralisation de la pratique et la lecture du créole
dans le milieu religieux. Le Nouveau Testament en créole est maintenant
disponible en cassettes audio et en CD.
Le Comité Kwéyòl, depuis sa création, s’est donné
les tâches suivantes :
- Surveiller le créole parlé par les animateurs de
radio et de télévision pour relever les termes et expressions empruntés à
l’anglais pour lesquels des termes existent en créole mais ne sont pas
utilisés, et les nouveaux mots qui entrent dans le créole avec une
prononciation soit totalement anglaise ou modifiée pour leur donner un son
créole. Il s’agit là de mots qui désignent des éléments d’une réalité de notre
existence aujourd’hui qui n’existaient pas jadis et pour lesquels, donc,
des termes en créole n’existent pas. Le Comité, après avoir relevé ces
termes-là, va mener un travail de recherche et de réflexion sur ces
expressions et proposer des termes créoles existants déjà ou crées en
fonction de ce que permet la langue par sa structure et sa morphologie.
- Proposer et coordonner des activités qui développent
la pratique de la langue dans des domaines inhabituels et en se faisant,
développer des attitudes plus positives envers la langue.
- Coordonner et documenter des recherches plus
poussées sur la langue, par exemple, le recueil de terminologies associées
à des technologies créoles dans les différents domaines et qui sont en
train de disparaître.
- Faciliter l’intégration du créole dans le système
éducatif, par l’organisation de la formation de maîtres dans
l’enseignement de la langue et la culture créole en recherchant les
méthodes d’enseignement les plus adaptées.
- Développer des programmes ou émissions de radio et
de télévision qui ciblent la jeunesse, et qui instrumentalisent la langue
créole dans la recherche d’une identité culturelle sainte lucienne.
DÉFIS À RELEVER
-Tandis que les attitudes envers la
pratique du créole et les traditions culturelles ont beaucoup évolués dans une
manière positive, il reste encore quelques irréductibles qui n’ont pas encore
admis le rôle positif que peut jouer l’affirmation et le développement du
créole dans la construction d’une identité nationale et parallèlement le développement
de l’individu. Ces gens-là donc opposent l’intégration du créole dans le
système éducatif.
- Toujours au niveau des attitudes, il
reste encore quelques stigmatisations associées aux gens qui parlent créole. On
a tendance à les dénigrer croyant qu’ils ne savent pas parler anglais.
- L’envahissement du créole par l’anglais
est source de beaucoup de soucis concernant la direction dans laquelle se
dirige la langue. La question se pose de savoir vers quelle langue doit se
recourir le créole pour se renouveler ou pour enrichir sa base lexicale.
- Il semblerait même que la structure
fondamentale de la langue soit menaçée par ces
emprunts, tous azimuts. Certains mots ont évolué dans leur signification et
certains individus dans les médias, exerçant une forte influence sur leurs
auditeurs créolophones inventent ou créent leur propre style langagier en
créole et leur propre lexique qui sont adoptés entièrement par les auditeurs,
surtout les jeunes. Quel recours devant une telle situation ?
- Aujourd’hui la première langue des
jeunes, surtout dans la capitale, devient de plus en plus anglais Sainte.
Lucien. Ce phénomène tend à se répandre dans les autres Communes. Le créole,
devenant une deuxièmement langue et non une première pour les jeunes, obligera à
repenser les méthodes d’enseignements de celle-ci.
- La langue est peu pratiquée à l’écrit
par la population surtout parce que les gens font toujours un blocage contre le
système d’écriture et que la vaste majorité ne l’ont pas encore admis.
- Les résultats des recherches réalisées
sur le créole vont devoir être considérés ou incorporés dans les futurs projets
linguistiques.
- Finalement, notre dernier défi sera
d’introduire l’affichage en créole dans les lieux publics, notamment à
l’aéroport, au marché et dans les magasins.
Le Comité Kwéyòl se compose d’un comité directeur et de personnes
ressources à qui le comité directeur fera appel pour leur expertise dans divers
domaines du créole pour préparer ses programmes de développement de la langue.
Les fonctions et
responsabilités du Comité Kwéyòl portent surtout sur
le développement de la langue du point de vue linguistique, didactique et
sociolinguistique.